En cette fin d’année 2024, personne, dans l’industrie créative, n’a pu passer à côté du dévoilement de la nouvelle identité de la prestigieuse marque de voitures Jaguar. Mais si jamais vous vivez dans une grotte, voici un rapide résumé : un nouveau logo très “tech” aux formes rondes et minimalistes (qui d’après beaucoup conviendrait davantage à une marque d’aspirateurs ultra-modernes), la disparition du fameux monogramme à tête de jaguar et une publicité pour voiture… sans la moindre voiture.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette métamorphose inattendue a beaucoup fait parler. Cela nous a donné, à nous aussi, envie de prendre la parole sur ce sujet que nous connaissons très bien chez Grafico : le rebranding.
Le rôle de la marque
Une marque a un objectif : créer un lien émotionnel entre un produit (ou service) et ses consommateurs. Elle permet d’attirer de nouveaux clients, mais aussi, et surtout, de les fidéliser. Et c’est ce lien émotionnel qui explique les fortes réactions (souvent négatives) qui sont exprimées chaque fois qu’une grande marque iconique révèle son nouveau logo.
Souvenez-vous de GAP, qui en 2010 levait le voile sur son nouveau logo… avant de faire marche arrière six jours plus tard, tant les contestations du public furent fortes. Plus récemment, nous avons aussi pu assister au volte-face de Burberry, qui en 2023 a fait le choix de retourner à son bon vieux logo de 1856. Seulement quelques années auparavant, la maison de couture avait, à l’instar de Chanel, Saint-Laurent et Balmain, suivi la tendance qui consistait à standardiser à l’extrême les logotypes, à base de police sans serif et… rien d’autre.


“Il y a plusieurs facteurs importants à prendre en compte lorsqu’on travaille sur un rebranding. Il est crucial de comprendre la trajectoire de l’entreprise, les raisons du changement et, bien sûr, le marché cible actuel et potentiel. Les marques évoluent au fil du temps pour diverses raisons ; ainsi, comprendre leurs nouveaux objectifs et le « pourquoi » du changement est une étape essentielle pour un rebranding réussi”, explique Orlando Grünewald, directeur artistique chez Grafico.
En effet, un bon rebranding doit 1. S’inscrire dans un contexte qui le justifie, et 2. Être exécuté avec justesse, en fonction des motivations de la marque.
Ainsi, GAP avait des raisons de se lancer dans un ravalement de façade : son ancien logo était le même depuis plus de 20 ans. Or, le marché change, et une marque qui n’évolue pas est une marque qui meurt. Mais c’est l’exécution qui a péché : l’ancien logo a complètement disparu, et avec lui toute une partie de l’héritage de la marque. Oubliés le carré bleu uni, les hautes lettres capitales et les sérifs. Le nouveau logo offre une rupture bien trop forte avec l’ancien, et donc, forcément, ne plaît pas aux fidèles de la marque.
Pour Burberry, c’est différent. C’est plutôt le contexte du rebrand qui n’était pas vraiment justifié. La maison de couture a semblé vouloir suivre une tendance globale, alors qu’elle ne changeait ni de cible, ni d’offre. En plus, s’il y a bien un secteur qui valorise l’aspect historique et traditionnel des marques, c’est bien celui du luxe. Raison pour laquelle tout le monde semble avoir poussé un soupir de soulagement lorsque l’antique logo de 1856 a fait son retour sur le devant de la scène. Les fidèles de la marque retrouvaient là un symbole du savoir-faire et de la distinction propres à Burberry.
« Les marques évoluent au fil du temps pour diverses raisons ; ainsi, comprendre leurs nouveaux objectifs et le « pourquoi » du changement est une étape essentielle pour un rebranding réussi »
Réussir son rebranding
Plongeons à présent dans le cœur du sujet : comment réussir un rebrand, alors, si les consommateurs ne semblent pas vouloir voir leur marque favorite changer ? Nous avons posé la question à Orlando.
“Alors, pour commencer, ce n’est pas vrai que les consommateurs ne veulent pas voir leur marque changer. Ils ne veulent simplement pas qu’elle devienne une marque totalement différente du jour au lendemain. Si, demain, vous vous mariez, vous n’êtes probablement pas contre le fait que votre conjoint ou conjointe évolue avec le temps, surtout si c’est pour s’améliorer. En revanche, ce serait étrange de vous réveiller un beau matin à côté d’une personne totalement nouvelle, sous tous les aspects.”
Le secret d’un rebranding bien exécuté réside donc dans le juste équilibre entre nouveauté et héritage. Et cet équilibre, il se mesure en fonction du contexte et des décisions stratégiques qui ont initialement motivé la direction à enclencher un processus de refonte d’identité de marque. Ce sont ces indicateurs qui vont aider à place le curseur avec justesse entre l’ancien et le nouveau.
“Un rebranding ne se résume pas aux chiffres. Il peut également s’agir d’un changement d’attitude, de pratiques ou de valeurs qui doivent être réalignés, non seulement visuellement, mais aussi dans le mode opératoire de l’entreprise. Tous ces éléments doivent être alignés à la fois avec le marché cible actuel et souhaité. Les chiffres, l’engagement et la cohérence continue (dans l’identité visuelle, le ton, le service, etc.) finiront par définir et indiquer le succès d’un rebranding”, ajoute Orlando.
« Ce n’est pas vrai que les consommateurs ne veulent pas voir leur marque changer. Ils ne veulent simplement pas qu’elle devienne une marque totalement différente du jour au lendemain. »
Notre expérience du rebranding chez Grafico
Au cours des 25 dernières années, l’équipe de Grafico a eu le plaisir de travailler sur de nombreuses refontes de marques, et c’est tant mieux ! Il est toujours gratifiant de voir les entreprises rebrandées prospérer dans un marché compétitif. Nous avons demandé à Orlando de nous parler de quelques projets qui l’ont marqué au cours des 10 dernières années.
“L2 Thé aux perles, c’est un peu une marque historique du quartier chinois de Montréal. Les fondateurs ont surfé sur la popularité croissante du thé aux perles et ont décidé, après 20 ans, qu’il était temps de revoir l’image et la voix de leur marque. L’objectif n’était pas seulement de rester compétitif, mais aussi d’introduire une nouvelle sélection de savoureux produits auprès d’une génération plus jeune, tout en préservant les éléments essentiels à l’identité de L2, comme le rose fuchsia et certains éléments clés du logo. Le résultat, c’est une marque dynamique et moderne, qui reflète visuellement l’explosion de saveurs et de textures qu’offrent les boissons, tout en conservant les éléments clés et les pratiques qui résonnent avec ses clients les plus fidèles.”



“Pour Blu Element, notre démarche a été très différente. La marque initiale n’était pas si ancienne et rencontrait un certain succès, mais elle évoluait dans un marché extrêmement compétitif, face à d’autres marques avec des personnalités très fortes. Notre stratégie a donc été d’injecter davantage de caractère et de narration. Le rebranding a ainsi représenté pour la marque un changement total d’attitude : la conquête de nouveaux marchés, l’adoption de nouvelles pratiques (emballages sans plastique) et l’expansion de sa base de consommateurs. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les ventes ont augmenté de plus de 20 % après le rebranding.”



Conclusion : et Jaguar alors, réussite ou échec ?
Maintenant que l’on sait tout ça, nous pouvons un peu mieux analyser ce qu’il se passe avec Jaguar. Reprenons nos deux points clés :
1. Le rebranding doit s’inscrire dans un contexte qui le justifie
Là-dessus, rien à dire. Il est certain que le contexte invitait à un rebrand. En effet, la direction stratégique de la marque a complètement changé : Jaguar commercialisait en 2024 ses derniers véhicules thermiques et passe dorénavant au tout électrique. Les prix, eux aussi, devraient évoluer pour monter en gamme. Ce changement dans les produits comme dans les prix suggère la nécessité de conquérir une clientèle complètement nouvelle. Autant d’arguments plus que valables pour se lancer dans un processus de rebranding.
2. Le rebranding doit être exécuté avec justesse
Et patatra. C’est là que les choses se gâtent. Car même si l’on pourrait penser qu’un changement de direction stratégique aussi radical requiert une refonte de marque qui le soit tout autant, en pratique, ça ne fonctionne pas. Car même si certains saluent l’audace de cette nouvelle identité, qui a au moins le mérite d’avoir fait parler et donc généré beaucoup d’attentes quant au dévoilement du nouveau véhicule, on ne peut pas le nier : tout l’héritage de la marque semble avoir été balayé sans le moindre remords. Et cela va même au-delà du branding, puisque la nouvelle automobile elle-même, tout en angles et lignes droites, n’a pas grand-chose à voir avec les modèles iconiques de Jaguar.
Or, qu’est-ce qui rend Jaguar légitime pour commercialiser des véhicules électriques à un prix à six chiffres, sinon le savoir-faire historique de la marque, son expertise et l’imaginaire qu’elle a construit au fil des années—en un mot, son héritage ? C’est justement là que le repositionnement de la marque semble poser problème pour beaucoup. Le rapport entre le respect de l’héritage de Jaguar et la nouveauté est complètement déséquilibré, ce qui explique pourquoi ce rebranding a été mal accueilli. Bien sûr, seul l’avenir nous dira quelles seront les véritables conséquences pour la marque. Et, qui sait, peut-être même qu’on se rendra compte, avec le temps, que nous avions tous tort et que ce rebranding était finalement un coup de génie. D’ici là, gardons l’œil bien ouvert sur tout ça !
Bref, vous l’aurez compris, ce sujet nous a passionnés, et nous espérons que vous aussi. Et bien sûr, si vous pensez que votre marque est mûre pour un rebrand, nous sommes là pour vous aider à le réussir !